Edito

Pour ce premier numéro, nous avons choisi de présenter des extraits de textes écrits par l’architecte Louis I. Kahn ainsi que les compositeurs R. Murray Schafer et John Luther Adams. Dans ces extraits, chaque auteur décrit sa manière de percevoir l’espace sonore, un espace qui peut devenir une source d’étonnement, de rêve voire d’inspiration. 

Silence et lumière (2006) de Louis I. Kahn

“C’est merveilleux de réaliser qu’on voit aussi bien qu’on entend. Et quelques fois, c’est bon d’entendre aussi bien qu’on voit. Les sens peuvent vraiment être considérés comme une seule chose. Tout marche ensemble. C’est pourquoi je me réfère constamment à la musique en parlant d’architecture, car pour moi il n’y a pas grande différence ; quand on creuse assez profond dans le domaine non pas des choses que l’on fait, mais simplement de la pensée de ce qu’on veut faire, alors tous les modes d’expression différents se présentent.”

“Le Silence n’est pas très calme. C’est quelque chose qu’on peut dire non lumineux, non obscur. Tout cela, ce sont des mots que j’invente. Non obscur, ce mot n’existe pas, mais pourquoi pas ? Non lumineux, non obscur. Désir d’être, désir d’exprimer. On peut dire que c’est l’ambiance de l’âme, si on en revient au-delà et que l’on pense à quelque chose où la lumière et le silence étaient ensemble, et le sont peut-être encore, séparés seulement par la commodité du discours.”

“Le désir d’exister, d’exprimer, existe dans les fleurs, dans l’arbre, dans le microbe, dans le crocodile, dans l’homme. Seulement, nous ne savons pas sonder la conscience d’une rose. Peut-être la conscience d’un arbre est-elle sa sensation de ployer sous le vent. Je ne sais pas. Mais je crois fermement que tout être vivant a une conscience même si elle est primitive.“


L’auteur

Louis I. Kahn (1901-1974) est un architecte américain, originaire d’Estonie. Kahn est considéré comme l’un des plus grands théoriciens de l’architecture du XXe siècle. Il questionne le rôle et la substance de l’espace ainsi que les rapports entre formes, structures, lumières et matières. “Silence et Lumière” (2006) est un recueil de conférences et d’entretiens donnés par l’architecte entre 1955 et 1974. 

Le paysage sonore : le monde comme musique (1977) de R.M. Schafer

Le paysage sonore

Le paysage sonore se définit comme champ d’étude acoustique, quel qu’il soit. Ce peut être une composition musicale, un programme de radio ou un environnement acoustique. On isole et on étudie un environnement acoustique comme on analyse les caractéristiques d’un paysage donné. Il est cependant moins facile de formuler avec précision l’impression produite par un paysage sonore. Il n’existe, en sonographie, rien de correspondant à l’impression instantanée qu’autorise la photographie. (…)

Dans un paysage sonore, les informations ne sont plus vues mais entendues. Au-delà de la perception de l’oreille se situent la notation et la photographie des sons. Cette représentation muette pose un certain nombre de problèmes (…). Le handicap est le même lorsqu’on se place dans une perspective historique. Car si l’on dispose d’innombrables photographies prises à différentes époques, et avant elles de dessins et de cartes, témoins de changements du paysage au cours des âges, il faut, s’agissant du paysage sonore, procéder par déduction. (…)  il faudra, pour ce qui est du passé, se tourner vers la littérature et la mythologie, les archives anthropologiques et historiques.”

Le jardin sonifère

“Un jardin est un lieu où est cultivée la nature. C’est le paysage façonné par l’homme. Arbres, fruits, fleurs, herbe quittent l’état sauvage, sculptés par l’art et la science. La nature y est parfois rigoureusement taillée et soignée comme dans les sévères jardins de Versailles et de Vienne ; ailleurs, l’homme a limité son intervention à l’épanouissement de tel ou tel trait particulier du paysage. Un vrai jardin est une fête pour tous les sens. Mais les jardins publics aujourd’hui manquent d’une véritable pensée et là est le problème.(…) 

Ainsi avons-nous toutes les raisons d’insister sur la nécessité de mettre aujourd’hui de nouveau l’accent sur l’importance du jardin public acoustiquement pensé, ou ce qu’on pourrait appeler plus poétiquement le “jardin sonifère”. Un seul principe doit nous guider dans cette tâche, toujours laisser la nature parler.”

 

L’auteur

R. Murray Shafer (1933-2021) est un compositeur, pédagogue et écologiste d’origine canadienne. Considéré comme le père de l’écologie sonore, il est le premier à théoriser le concept de paysage sonore (ang. soundscape) puis à proposer des exercices de développement de l’écoute. Schafer est également co-fondateur du World Soundscape Project, développé à l’Université Simon Fraser.

Silences So Deep : Music, Solitude, Alaska (2020) by John Luther Adams (extrait en anglais)

Out of the woods

For decades my music had been inspired by the big world outside our closed doors. Yet it was almost always performed indoors, in the circumscribed spaces of theaters and concert halls. Then, while I was working on The Place Where You Go to Listen, I heard Strange and Sacred Noise, performed outdoors, and everything changed.”

Making music oudoors invites a different mode of awareness. You might call it “ecological listening”. Indoors, we seal ourselves off from the world and concentrate on listening to an array of carefully produced sounds. Outdoors, rather than focusing our attention inward we’re challenged to expand our awareness to encompass a multiplicity of sounds, to listen outward.

We’re invited to receive messages not only from the composer and the performers but also from the larger world around us. Hearing music outdoors, it’s sometimes difficult to say exactly where the music ends and the world takes over. There is no single point of interest; rather everypoint around the aural horizon is a potential point of interest, a call to listen.

Photo : Len Kamerling

L’auteur

Né en 1953, John Luther Adams est un compositeur américain dont la musique s’inspire de la nature et, en particulier, des paysages de l’Alaska. Dans “Silences so deep : Music, Solitude, Alaska”, J.L. Adams nous livre le récit de sa vie dans le Grand Nord, et nous explique comment cette terre a peu à peu modifié son regard sur la musique et sa façon de composer.

"For me music is a lifelong journey of exploration that has led me from the songs of birds and landscape painting in tones, to elemental noise and making music out of doors. Throughout this journey, "place" and "space" have been constant touchstones.
John Luther Adams
Compositeur