Edito
” Le plus souvent, nous vivons coupés des paysages sonores. Nous nous absentons d’eux.” constate Alexandre Lacroix. Dans son essai intitulé Devant la Beauté de la Nature (2018), le philosophe constate à quel point le monde moderne nous éloigne de la nature, un éloignement qui contribuerait grandement à la crise écologique actuelle. Il est donc grand temps de se reconnecter à la nature, de façon sensible et respectueuse. Dans ce nouveau numéro, nous vous proposons quelques exercices ludiques pour développer votre écoute et apprendre à caractériser les paysages sonores.
L’oreille, ou l’irrésistible victoire du sens sur le son – extrait de Devant la Beauté de la Nature (2018) d’Alexandre Lacroix
“Nous avons tous fait ce genre de cauchemar, où les actions les plus banales paraissent soudain distantes et impossibles. Mais cette situation d’inquiétante étrangeté, où le proche devient lointain, nous ne l’éprouvons pas qu’en dormant. Et pas seulement lorsqu’il s’agit d’accomplir un mouvement mais de sentir aussi. Le plus souvent, nous vivons coupés des paysages sonores. Nous nous absentons d’eux. Tout se passe, en ce qui concerne l’audition, comme si nous avions la tête sous une cloche de verre. Moitié parce que nous avons besoin de nous protéger, que nous ne voulons pas être pénétrés en permanence par tout ce qui tinte et vrombit. Moitié parce que nous nous sommes rendus infirmes. Humains de la modernité, nous sommes devenus sourds au monde.”
“Lorsque nous faisons l’effort de descendre dans nos oreilles, nous ne mettons pas les bruits de la nature au premier plan. Ce qui retient davantage notre attention, ce sont les paroles humaines, puis les musiques, les bruits de machines (…) et c’est vraiment en dernière instance que nous nous attardons à suivre la mélodie intermittente d’un chant d’oiseau ou la rumeur de la marée montante.“
“Cette préférence n’est due simplement au fait que le niveau sonore, mesurable en décibels, des bruits liés à l’activité humaine serait plus élevé que celui des sons naturels. En effet, une pluie d’été ou un vent puissant provoquent parfois un vrai raffut. Mais les bruits produits par les humains ont surtout pour nous une valeur de signaux ; ils entrent dans un échange social (…) quand il est produit par un être humain, le son fait sens. Et le sens nous intéresse davantage que les sons. S’il est d’origine non-humaine, le son ne signifie rien pour nous, si bien qu’il tombe en dehors de notre champ attentionnel.“
L’auteur
Alexandre Lacroix est un écrivain et journaliste français. Il dirige actuellement la rédaction de Philosophie Magazine. Il écrit par-ailleurs des essais sur des thématiques esthétiques ou existentielles. Devant la Beauté de la Nature (2018) et Au cœur de la Nature blessée (2022) sont deux ouvrages consacrés aux rapports affectifs et sensoriels que nous entretenons avec les paysages qui nous entourent.
Activités
Développer l’écoute (activités adaptées de A Sound Education, 100 Exercises in Listening and Sound-making (1992) de R. Murray Schafer)
- La première étape consiste à prêter une oreille attentive à son environnement sonore. L’exercice se fait en silence. Tendez l’oreille et écoutez pendant 2 ou 3 minutes. A l’issue de cet exercice, analysez vos impressions. Qu’avez-vous entendu ? Le paysage sonore est-il calme / mouvementé, agréable / désagréable ? Vous pouvez réaliser cet exercice en plusieurs endroits (intérieur / extérieur).
- Maintenant que votre oreille est échauffée, munissez-vous d’un papier et d’un crayon. Restez silencieux pendant 5 minutes et dressez la liste de tous les sons que vous entendez au cours de cet intervalle. Si vous faites cet exercice à plusieurs, comparez ce que vous avez entendu et partagez vos impressions avec vos camarades.
Caractériser un paysage sonore
Les sons sont produits par des déplacements, des chocs, des vibrations réalisés par des éléments naturels – comme la pluie, une chute de pierre, le vent – des organismes vivants ou encore des machines. On définit ainsi trois grandes catégories de sons. La géophonie (G) désigne les sons de la Terre ce qui inclut les phénomènes géologiques, météorologiques et océaniques. La biophonie (B) désigne les sons produits par les organismes vivants et la technophonie (T) fait référence aux sons des machines. Au sein d’un paysage sonore, ces sons se croisent et s’entremêlent. Certains persistent. Les autres sont ponctuels, éphémères. Reprenez la liste dressée dans la première activité et classez les sons suivant leur nature. Analysez votre liste. Est-ce que toutes les catégories sont représentées ? L’une d’elle est-elle plus représentée que les autres ?
Cartographie sonore
Les cartographies sonores sont des représentations picturales du paysage sonore d’un lieu. Elles peuvent prendre des formes variées (dessins, carte numérique…). Pour cet exercice, nous vous proposons la version la plus simple. Munissez-vous d’un papier et d’un crayon et rendez-vous dans un endroit qui vous inspire. Asseyez-vous et écoutez. Prêtez attention à la provenance des sons (devant, derrière, au-dessus, en-dessous…), à leur intensité, à leur caractère continu ou intermittent… Reportez vos observations sur votre feuille en utilisant une symbolique qui vous parle.
Climatologie sonore
Choisissez un endroit que vous aimez et où vous pouvez vous rendre fréquemment. Exercez votre écoute en consignant dans un carnet les éléments sonores perçus et vos impressions. Notez la date, l’heure et précisez les conditions météorologiques si vous êtes en plein air.